Lettre du 1er août 1914

Pour la pièce du 3ème trimestre 2024, Jean-François Laporte nous présente une lettre écrite par un médecin luxembourgeois qui écrit à ses parents au Luxembourg le même jour où l’Allemagne déclare la guerre à la Russie ; le 2 août 1914, elle envahie le Grand-Duché du Luxembourg.
Après avoir traversé la Moselle à Remich et Wasserbillig, les soldats allemands se mirent en mouvement à travers le sud-est du pays en direction de la capitale – Luxembourg-ville – et se déployèrent sur tout le pays durant ces vingt-quatre heures. La Grande-duchesse Marie-Adélaïde ordonna à sa petite armée de moins de 400 soldats de ne pas résister et, l’après-midi du 2 août, Eyschen (chef du gouvernement) et elle rencontrèrent le commandant de l’armée allemande l’Oberst Richard Karl von Tessmar sur le «Pont Adolphe » à Luxembourg-ville. S’ils protestèrent formellement, ils ne pouvaient que subir l’occupation militaire allemande avec fatalisme.
 
La lettre a été écrite et expédiée le même jour (1er août) de Clichy la Garenne mais, au vu de la situation politique et militaire, les relations postales sont rapidement suspendues d’où la présence d’une griffe bleue (sur 2 lignes) signalant “retour à l’envoyeur acheminement impossible “.
Le contenu de la lettre est éloquent !
La déclaration de guerre entre l’Allemagne et la France est effective le 3 août 1914
 
Contenu de la lettre
 

1.VIII.14

Chers parents

Je vous envoie peut-être une des dernières lettres d’avant la guerre car si tout cela continue la déclaration se fera demain et le service postal sera fermé.

C’est qu’on en est encore assez perplexe de ce qu’il faut faire, fermer la maison ? renvoyer la bonne ? elle ne sait où aller alors que les autres servent toujours que faire. Et comme argent j’ai en ce moment environ 1000Frs, que faut-il lui laisser ? que faut-il emporter sur moi ?

En principe je pars toujours le 11e jour de St Lazare pour aller à Caen (caserne Lefebvre 28e compagnie)

Il ne faut pas croire que c’est parce que c’est le 11e jour qu’il y a moins de dangers. Les grandes batailles se font toujours à la fin de la campagne, càd sous un an peut-être, je verrai donc tout de même le feu. Je ne sais comment je partirai comme soldat ou infirmier (c’est un soldat avec un fusil aussi) Hier (un peu tard) j’ai fait ma demande d’être médecin aide major de réserve. Aujourd’hui en apportant un extrait d’acte de naissance je vois affiché qu’on n’accepte plus les changements. De sorte que j’ai encore l’espoir de réussir, peut-être parce que j’ai fait du laboratoire me prendra-t-on pour un service spécial (bactériologie), mais il faut attendre.

Le moment n’a jamais été mieux choisi pour tomber sur les Allemands. On est confiant et on se prépare avec un calme qui frappe. Je ne songe guère à la balle (ah pas forcément mortelle !) qui pourra rendre mon bras ou ma jambe hors de service, peut-être dès les premiers jours. Alors hélas fini l’élan qui m’aurait poussé vers la race détestée où tout choque dans toutes les fibres délicates. Cette race du mensonge, de la brutalité, du faux, elle pourrait bien être détruite comme les anciennes races comme Carthage ou Sodome. Toutes les nations s’y appliquent : Hollande Belgique Angleterre Luxembourg France Russie Japon. L’Italie elle-même reste froide dans ses décisions. Alors on espère si on avait raison d’hésiter un peu, sachant notre préparation pas aussi bien qu’elle ne devrait être.

Je vous quitte, vous embrasse tous et vous prie de ne pas vous inquiéter. On sait toujours se tirer d’affaire. Et quand on se lance en désespéré en avant on est presque sûr de ne rien attraper, ce sont les peureux qui écopent. Et  puis  cela me fera des vacances que j’attends depuis si longtemps !

Votre fils dévoué, fils de la France.  Charles Funck 

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1 réponse

  1. VACHER-CHICANE Jean-Yves dit :

    Lettre pathétique, mais lucide avec une touche de prémonition…
    A-t-il survécu à l’effroyable boucherie et si oui est-il resté dans le domaine médical?
    Un certain parallélisme avec notre époque !

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