Lettre du 1er août 1914
Contenu de la lettre
1.VIII.14
Chers parents
Je vous envoie peut-être une des dernières lettres d’avant la guerre car si tout cela continue la déclaration se fera demain et le service postal sera fermé.
C’est qu’on en est encore assez perplexe de ce qu’il faut faire, fermer la maison ? renvoyer la bonne ? elle ne sait où aller alors que les autres servent toujours que faire. Et comme argent j’ai en ce moment environ 1000Frs, que faut-il lui laisser ? que faut-il emporter sur moi ?
En principe je pars toujours le 11e jour de St Lazare pour aller à Caen (caserne Lefebvre 28e compagnie)
Il ne faut pas croire que c’est parce que c’est le 11e jour qu’il y a moins de dangers. Les grandes batailles se font toujours à la fin de la campagne, càd sous un an peut-être, je verrai donc tout de même le feu. Je ne sais comment je partirai comme soldat ou infirmier (c’est un soldat avec un fusil aussi) Hier (un peu tard) j’ai fait ma demande d’être médecin aide major de réserve. Aujourd’hui en apportant un extrait d’acte de naissance je vois affiché qu’on n’accepte plus les changements. De sorte que j’ai encore l’espoir de réussir, peut-être parce que j’ai fait du laboratoire me prendra-t-on pour un service spécial (bactériologie), mais il faut attendre.
Le moment n’a jamais été mieux choisi pour tomber sur les Allemands. On est confiant et on se prépare avec un calme qui frappe. Je ne songe guère à la balle (ah pas forcément mortelle !) qui pourra rendre mon bras ou ma jambe hors de service, peut-être dès les premiers jours. Alors hélas fini l’élan qui m’aurait poussé vers la race détestée où tout choque dans toutes les fibres délicates. Cette race du mensonge, de la brutalité, du faux, elle pourrait bien être détruite comme les anciennes races comme Carthage ou Sodome. Toutes les nations s’y appliquent : Hollande Belgique Angleterre Luxembourg France Russie Japon. L’Italie elle-même reste froide dans ses décisions. Alors on espère si on avait raison d’hésiter un peu, sachant notre préparation pas aussi bien qu’elle ne devrait être.
Je vous quitte, vous embrasse tous et vous prie de ne pas vous inquiéter. On sait toujours se tirer d’affaire. Et quand on se lance en désespéré en avant on est presque sûr de ne rien attraper, ce sont les peureux qui écopent. Et puis cela me fera des vacances que j’attends depuis si longtemps !
Votre fils dévoué, fils de la France. Charles Funck
Lettre pathétique, mais lucide avec une touche de prémonition…
A-t-il survécu à l’effroyable boucherie et si oui est-il resté dans le domaine médical?
Un certain parallélisme avec notre époque !