En suivant les Spahis… par Bernard Jusserand – Section 14-18

Un ensemble remarquable de particularités.

La lettre que nous présentons ici a été traitée par la poste militaire dans la période postérieure à la Première Guerre mondiale. Envoyée par un officier du 3e régiment de Dragons, elle porte le cachet ovale du vaguemestre du régiment et le timbre à date du secteur postal 219 à la date du 28/11/1925. Ce dernier porte la mention « Postes aux Armées » utilisé depuis la séparation des services de la trésorerie et des postes en 1924.

Cet envoi en poste aérienne utilise une enveloppe spéciale imprimée en rouge avec la mention PAR AVION en caractères géants au recto et au verso ainsi qu’une étiquette « Par Avion » de format habituel. La lettre bénéficie de la franchise militaire et seul le supplément de poste aérienne a été acquitté, conformément à la réglementation, sous la forme d’une paire de timbres à 25 centimes bleus au type Semeuse.

Le destinataire est un officier du 6e régiment de Spahis à l’adresse du secteur postal 416, au Maroc. La lettre porte au verso un cachet du bureau postal militaire de Taza en date du 4/11/1925. Beaucoup plus surprenante est la présence, également au verso, d’un second timbre à date du secteur postal 600 localisé à Beyrouth et desservant l’Armée du Levant. Il est daté de décembre, le quantième étant difficilement lisible.

Le trajet de cette lettre

Elle part du secteur postal desservant les troupes de garnison de la Sarre. La Sarre étant placée sous contrôle international dans le cadre de la SDN, les troupes françaises participant à l’occupation ne sont pas rattachées à l’Armée du Rhin. Le 3e régiment de Dragons, en garnison à Sarrelouis, est dans ce cas.

Elle emprunte la voie aérienne entre Toulouse et Casablanca, par le vol commercial régulier des Lignes Aériennes Latécoère. Le supplément de 50 centimes est en accord avec ce trajet. Elle rejoint certainement Toulouse par la voie de terre via Paris. Le trajet total dure environ 6 jours. L’absence totale de marques postales civiles montre qu’elle a voyagé dans une dépêche close entre Sarrebruck [1] et Taza.

Elle est transférée à Beyrouth suite au déplacement de l’unité de destination vers une nouvelle affectation. En absence de cachet civil correspondant à ce second trajet, nous pouvons conclure à nouveau que le bureau de Taza a formé une seconde dépêche close à destination du bureau desservant la nouvelle affectation.

La cause de ce périple inattendu

Le destinataire, Édouard Ballot, est un officier de cavalerie sorti du rang, né en 1875 [2]. En 1923, il est capitaine au 3e régiment de Dragons dont nous avons parlé ci-dessus. En 1924, il est promu commandant et après une première affectation en Algérie, il rejoint le 6e régiment de Spahis qu’il suit dans ses pérégrinations : Rhénanie puis Maroc en août 1925, où il participe à la guerre du Rif dans une zone proche de Taza. Il est finalement transféré en Syrie en novembre 1925. Le régiment débarque à Beyrouth les 19 et 20 novembre 1925. C’est le moment où la lettre étudiée ici poursuit le Commandant Ballot dans ses déplacements.

Dans le dossier de carrière d’Édouard Ballot, nous rencontrons aussi une trace de l’expéditeur de la lettre. En février 1924, peu avant la promotion d’Édouard Ballot, son chef de corps demande à sa hiérarchie qu’il soit maintenu au régiment et remplace dans les fonctions de Major Gustave de Selves qui attend son départ à la retraite. Ce dernier, né en 1874, est également sorti du rang. Il fait la compagne des Dardanelles où il contracte un paludisme grave. Il passe une partie de la guerre à l’hôpital. En 1918, il est émissaire au service des courriers extérieurs de l’état-major. En 1923, il est major au 3ème régiment de Dragons, où Ballot est capitaine. Devant être affecté au Maroc, il préfère demander sa retraite anticipée pour cause de santé. C’est alors que Ballot est soutenu par son chef de corps pour le remplacer comme major du régiment. Mais De Selves annule finalement sa démission. Au moment de la lettre, il est toujours major de son régiment. L’expéditeur et le destinataire de la lettre sont donc identifiés comme des camarades officiers de cavalerie ayant servi ensemble au 3e régiment de Dragons en 1923-1924.

La dernière observation qui n’est pas la moins remarquable est que les deux timbres à date de Taza et de Beyrouth ont été apposés à l’aide d’une machine Daguin, les marques entourées de rouge sur le zoom ci-dessous en témoignent. Les cachets Daguin de la poste aux Armées sont peu courants ; la combinaison de deux cachets de bureaux différents sur le même pli est certainement fort rare.

 

[1] Sarrebruck est à cette période le bureau frontière des troupes françaises sur le territoire allemand. C’est là que les dépêches sont confiées par la Postes aux Armées à la poste civile. Le bureau frontière n’appose habituellement son timbre spécial, Postes aux Armées D, que sur les courriers recommandés.

[2] Service historique de la Défense, série GR 6 YE.

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1 réponse

  1. Cas François dit :

    Je vous propose mon avis concernant l’évocation des deux Daguins solos en fin d’article.
    Je rappelle que les timbres à date montés sur la machine, forment un triangle aux dimensions suivantes: centre à centre des tàd 28mm centre à centre tàd – piston 35mm et que les très nombreuses observations confirment que le diamètre des pistons varient entre 10 et 12mm, nous savons aussi que les tàd de cette époque (depuis 1904) ont un diamètre de 27mm, donc, techniquement, l’écart bord à bord du tàd et la marque extérieure d’un piston, devrait être de + ou – 15mm, à savoir:
    35mm – 13,5mm (demi tàd) – 6mm (demi piston) = 15.5mm.

    Revenons à la lettre montrée dans l’article qui porte deux marques de piston
    -une attachée au tàd du SP600 avec un écart de 15mm
    -l’autre attachée au tàd de Taza avec un écart de 21mm , ce qui est beaucoup trop , relativement aux explications ci dessus
    conclusion: le SP600 est bien un daguin solo (et on en connait d’autres);par contre ,à Taza l’oblitération est manuelle.Alors comment explique t on cette deuxième marque?
    par le fait que le préposé met le courrier en vrac sur la table de travail de la machine et oblitère à la volée de façon désordonnée, de telle sorte que le cachet et le piston ne portent pas forcément
    sur la même lettre à oblitérer , mais à cheval sur deux lettres.
    c’est le cas ici; le piston qu’on aurait voulu , ou souhaiter , dépendre de Taza , appartient à la machine du SP600 dont les lettres , ou du moins “une” , n’a pas la preuve d’avoir été oblitérée par une machine Daguin.
    En espérant que ces explications valorisent mon avis
    Cordialement
    François Cas

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